Le soleil, debout depuis peu, répand imperturbablement sa chaleur sur les épaules de mes amis, Georges, Sevda et les autres, plongeurs ou non, qui sont tous venus pour un même but : la rencontre avec ces magnifiques animaux sauvages. Leurs paupières deviennent lourdes, le regard plus flou, les gestes imprécis et les lèvres moins toniques : c’est l’heure de la sieste !

Pourtant Fred Chotard,un physique entre Jean-marc Barr et Antonio Banderas ( normal, il descend à plus de quarante mètres et peut rester près de cinq minutes en apnée ! ), va commencer son briefing. Il nous parle plongée bien sûr : Rajoutez deux kilos car la mer Rouge est plus salée. Revenez à cent bars. Ne touchez à rien. Bref, le classique. Il nous explique aussi le PMT et quelques notions d’apnée car certains n’ont jamais chaussé de palmes et s’immergent pour la première fois dans une eau à trente degrés ! Mais surtout, il nous fait partager sa passion avec les dauphins. Il faut dire qu’il en connaît un bout sur le sujet : Tursiops truncatus de Floride, dauphins tachetés des Bahamas, Delphis delphis de Méditerranée, Stenella longirostris de mer Rouge, sans compter les autres cétacés, baleines, orques et belugas qu’il a pu côtoyer aux Canaries, en Colombie britannique et au Pôle Nord. Quand il parle, on boit ses paroles. J’en soupçonne même certains d’être un peu subjugué. Bref, je met de côté ma basse jalousie machiste et décide d’en apprendre beaucoup sur les dauphins : je ne serais pas déçu !


En effet, le jour J tant attendu arrive d’autant plus que sur le site, nous sommes le seul bateau et nous le resterons pour la journée. Pour ma part, j’ai déjà eu la chance d’approcher des dauphins plusieurs fois dans ma vie de plongeur mais je suis toujours excité et pas encore blasé. Et quel plaisir de lire sur les visages des personnes qui partagent cette croisière, leur regard émerveillé mêlé toutefois d’une certaine appréhension… Les questions fusent : sont-ils nombreux ? quel est le risque ? vont-ils nous toucher ? faut-il descendre profond ? est-on surveillé ? et à cela, Fred, d’un calme olympien particulièrement rassurant, leur répond avec beaucoup de professionnalisme non dénué toutefois de chaleur et d’humour.

Ils sont donc là. Par petits groupes d’une vingtaine, quelquefois plus. Assez joueurs, voire même très portés sur le sexe, si vous voyez ce que je veux dire… Souvent, un petit pénis blanc dépasse du ventre de certains. Sous le regard indifférent de quelques juvéniles : ah bravo ! On apprend jeune dans le monde des dauphins. Par moment, ils nous entourent calmement, émettent quelques petits cris caractéristiques. L’instant suivant, ils accélèrent d’un simple coup de queue pour disparaître après un ou deux sauts hors de la surface. Un autre groupe arrive par derrière, passe sous nos palmes. Deux dauphins vont fouiller le sable tandis que l’un d’entre eux vient m’observer à moins d’un mètre : salut toi ! photos !!!

Je nage côte à côte avec Fred qui danse véritablement avec quelques spécimens particulièrement chaleureux. Soudain, « l’homme-dauphin « me montre le centre du groupe avec une attention particulière. Il semble surpris. En effet, je distingue deux Grands dauphins Tursiops truncatus. Ce sont des femelles facilement reconnaissables à leur longue fente ventrale ( les mâles en ont deux plus petites ) accompagnés de leur progéniture, deux petits dauphins fraîchement nés. « Cà arrive paraît-il mais c’est tout de même peu fréquent « nous précise Fred. Les rencontres, plusieurs fois par jour, sans stress, sont toujours source de satisfaction et d’échanges entre personnes. Intimes quelquefois. On parle de ses passions, de ses peurs, de ses fantasmes. L’esprit dauphin à ceci de fédérateur entre les êtres : au moins chez ceux qui participent à ce genre de croisière.


Par le souvenir marquant qu’ils laissent dans notre mémoire visuelle, les dauphins créent une histoire singulière, une véritable communion. Animaux rares et magiques qui plongent leurs racines au temps du premier monde, il y a environ dix millions d’années ( dont l’origine serait une sorte de chien, le Mésonyx, sorti de l’eau soixante millions d’années auparavant ). De leur houleuse traversée des siècles et des océans, les dauphins ont gardé une grâce infinie, une nage remarquablement adaptée qu’accompagnent un sens grégaire et un système d’écholocation sophistiqué, nécessaire à leur survie.

Tels des lieux magiques, les fonds sous-marins de la mer Rouge représentent le royaume de la couleur et des poissons que peuplent ces forêts infinies. Seul le vent nord-sud, omniprésent et quelquefois plus que puissant, crée des sons curieux en remplissant nos tubas dépassant de la surface. A travers le masque, mon regard perçoit les rayons de soleil stridents qui percent le bleu jusqu’au sable blanc. Alors une autre vision du monde se construit dans mon imaginaire : ils sont cent ! Ils m’entourent en créant des reflets étonnants avec leur corps qui lèchent la surface. J’essaye d’en identifier un mais déjà il a quitté mon champ visuel d’un fantastique bond dans les airs. Au contraire, l’instant suivant, je balaye le bleu pour les dénombrer et en voici un qui apparaît devant moi, venu d’en haut. Je ne sais plus où donner de la tête.

Rester alors dans la réalité. Prolonger l’instant pour qu’il devienne une éternité. Je grave ainsi ces images puissantes pour forger une vie, celle qui enrichie l’âme. Je lève les yeux pour apercevoir quelques sternes qui survolent la scène. Ils chantent aussi… comme les dauphins. Alors je me mets à fredonner aussi… M’entendent-ils ?


Et si en plus, vous rajoutez des couchers de soleil à couper le souffle sur les montagnes du sud égyptien, alors vous vous évadez, de plus en plus proche de votre propre moi intérieur. Mais au moment où je narcose en surface, sur fond musical de la célèbre chanteuse Oum Kalsoum, une chouette vient se poser sur le pont juste à côté de moi : un signe peut-être ? Elle semble intéressée par quelque chose dans la cabine de pilotage. D’ailleurs elle y entre pour en ressortir aussitôt, provocant des rires et des cris parmi l’équipage égyptien.

Avec Fred et Georges, mon binôme et néanmoins ami, nous nous remémorons la plongée de cette après-midi. Le tombant plonge profond dans le bleu. La balade main gauche nous ramène sur un plateau à vingt mètres, parsemé de patates de corail très riches de toute la vie corallienne. Allez, on y va pour la description : coraux aux formes multiples, alcyonaires colorés, murènes , ptéroïs , perroquets, mérous tachetés, banc de lutjans, sans compter les gobies de feu ou poissons comètes à grandes nageoires ( Calloplesiops altivelis ), très photogéniques. Les formes simples ou complexes se côtoient. L’infinité des couleurs accentuent le mystère et augmente la séduction que j’éprouve pour la vie sous-marine. J’accompagne alors un poisson-serpent de quatre-vingt centimètres, une serpentine à bandes ou serpentine colubrine plus exactement ( Myrichtys colubrinus ) qui m’emmène sur le fond pour mourir devant moi après de longues minutes de convulsions violentes. Arnaud et moi restons bouche bée : les animaux souffrent donc aussi et ne se cachent pas toujours pour s’effacer du monde vivant. Rideau, fin du spectacle !

Mais, heureusement l’essentiel de notre croisière sera sous le signe de la vie. Probablement beaucoup grâce aux dauphins qui, par l’énergie qu’ils dégagent, ont cet immense pouvoir de nous ressourcer, nous les simples humains. Merci.

Henri ESKENAZI
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INFORMATIONS PRATIQUES

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Petit lexique égyptien :

• SHAAB = grand récif
• GOTTA = petit récif
• HABILI = récif inachevé ( encore sous la surface )
• RAS = pointe ( tête, en arabe )
  

Le dauphin Stenella longirostris ( Dauphin à long bec )

• La famille des delphinidés compte environ 45 espèces dont le dauphin à long bec.
• Nom anglo-saxon : « Spinner dolphin « , car il est capable de réaliser des sauts impressionnants, jusqu’à 7 fois autour de son axe ( To spin = tourner, en anglais ).
• Vit de part et d’autre de l’équateur entre les deux tropiques tout autour de la terre, avec des groupes connus en Mer Rouge, à Hawaï et au Brésil.
• Animal grégaire ( entre 50 et 1000 individus ).
• Taille entre 1,40 et 2,20 m.
• Poids entre 50 et 80 Kg.
• Durée de vie entre 25 et 40 ans.
• Vitesse de nage jusqu’à 40km/h.
• Respiration toutes les 30 s à 3mn le plus souvent, et peut pousser des apnées de 10 à 15mn maximum .
• Signes distinctifs : rostre assez long avec une tâche noire au bout, un aileron dorsal triangulaire et trois couleurs marquées du gris foncé sur le dos au presque blanc au niveau du ventre. Dentition importante.
• On note quelques différences de comportement et d’apparence sur cette espèce selon l’endroit où il se trouve dans le monde.
• Se nourrit en général la nuit et se repose dans les lagons aux eaux plus calmes où il socialise ( copulation, naissance… ).
• Gestation de 10 mois, une fois tous les 2 ans environ.
• Liberté sexuelle particulièrement marquée (… )
• Possibilité de se côtoyer avec d’autres espèces ( Tursiops truncatus ).
• Pour communiquer, se diriger, pêcher, il émet des cliquetis aigus ( haute fréquence ) et des sons plus graves ( basse fréquence ) pour l’identification proche, tel un scanner.
• Actuellement cette espèce n’est pas en voie de disparition encore que l’effectif mondial aurait notablement diminué ( jusqu’à 60% ! ), à partir des années 60 dès l’apparition des grands filets à thons où les dauphins se font parfois piéger.
  

Questions à Frédéric Chotard, concepteur de ce voyage original
(guide animalier spécialisé dans la rencontre avec les dauphins sauvages)

1) Quel est le concept de cette croisière plongée ?
Cette croisière est avant tout destinée à rencontrer les dauphins sauvages avec palmes, masque et tuba dans des conditions exceptionnelles (mer chaude et translucide, lagon protégé, bateau tout confort). Ces dauphins sont vraiment sauvages, ils vivent librement, se nourrissent par eux-mêmes, et ne sont nullement apprivoisés. Nous allons simplement à leur rencontre, « chez eux » dans leur lieu de vie. Même si, après quatre années d’expérience sur ce site, les dauphins ont toujours été au rendez-vous, nous ne contrôlons absolument pas leur présence dans le lagon et la rencontre n’est donc jamais garantie à 100%. Cette part d’inconnu contribue au charme de ce voyage. Cette croisière a été conçue dans une éthique qui s’inspire d’un tourisme durable et responsable. Elle répond à des critères précis et réfléchis, repris dans le concept « les Authentissimes »:

• Elle a lieu dans un site naturel protégé en pleine mer dans l’extrême sud de la Mer Rouge égyptienne, loin des foules. Seuls quelques bateaux de passage vont et viennent de temps à autre;
• Elle n’accepte que de petits groupes (de 10 à 20 passagers maximum) favorisant ainsi des rencontres de qualité avec les dauphins et des échanges profonds entre les participants et avec l’équipage égyptien;
• Elle garde une part d’inconnu par le caractère improvisé de la rencontre avec les dauphins, garante d’une véritable authenticité;
• Elle est encadrée par un guide spécialisé capable d’informer les voyageurs sur ce qu’est réellement un dauphin sauvage, et sur les comportements à adopter pour le respecter au mieux dans son environnement naturel;
• Elle est participative, dans le sens où chaque voyageur est acteur de ces rencontres et ajoute son témoignage à une meilleure connaissance de l’espèce rencontrée et des interactions entre humains et dauphins.
  

C’est aussi l’occasion de découvrir en randonnée palmée ou en apnée les trésors de la Mer Rouge, coraux étincelants et poissons tropicaux multicolores. Attention ! ce voyage n’est pas une croisière plongée. La plongée peut être pratiquée sur les nombreux récifs visités mais elle reste optionnelle et n’est pas au centre du voyage.

2) A qui s’adresse cette croisière plongée ?
Contrairement aux croisières de plongée classiques, elle s’ouvre à un public plus large que celui des plongeurs. En effet, pourquoi restreindre les plus beaux récifs éloignés de la Mer Rouge aux seuls plongeurs niveau 2 ?Ici vous pouvez partir en famille, entre amis, en solo, il vous est seulement demandé de savoir nager et de ne pas présenter de contre-indications à la nage en pleine mer. Pendant les vacances scolaires, nous avons évidemment davantage de familles avec enfants. C’est parfois l’occasion pour un plongeur de partir avec le reste de sa famille et d’offrir à chacun des vacances satisfaisantes qui ne tournent pas uniquement autour de leur passion sans pour autant s’en priver. Que ce soit des passionnés de dauphins, des personnes souhaitant réaliser un rêve de gosse, des nageurs amateurs ou des apnéistes confirmés, des photographes sous-marins ou des biologistes cétologues, ce voyage ravira tout public de 7 à 77 ans.

3) Quel conseil donnerais-tu aux personnes intéressées?
Débarrassez vous de vos préjugés sur nos amis les dauphins, trop souvent caricaturés à travers Flipper et les delphinariums. Ici, on découvre des dauphins libres qui veulent bien nous accepter dans la découverte d’une part de leur intimité. C’est une expérience unique. Débarrassez vous de l’idée que vivre à plusieurs sur un bateau est difficile par la promiscuité qu’elle induit, ou par le manque de confort. Les bateaux sont spacieux et confortables, l’équipage égyptien est aux petits soins, tout concours à une ambiance détendue et sereine.Certes, la mer peut être houleuse (seulement lors des trajets car les mouillages se font toujours sur des sites protégés) et les descentes à terre sont rares.

4) Quelle perspective pour demain ?
A la demande de nombreux voyageurs qui sont déjà partis sur cette croisière, je développe, en partenariat avec mon associée chercheur à l’université de Lyon sur les question de tourisme durable et de responsabilité sociale de l’entreprise, d’autres voyages spécialisés dans la rencontre avec les dauphins et plus généralement les cétacés. Nous souhaitons développer ces nouvelles destinations avec Copampa bien sûr puisque nous travaillons déjà ensemble, mais aussi avec d’autres Tour Opérateurs souhaitant s’adresser aux amoureux de la mer qui sont sensibles à un tourisme « nature » responsable et authentique. Des circuits sont prévus à Oman, au Cap-Vert, aux Maldives, en Polynésie, en Basse Californie, aux Bahamas et dans bien d’autres lieux où dauphins, baleines, orques ou phoques acceptent un échange avec les humains et nous livrent une image plus juste d’eux-mêmes …


Histoire d’une plongée : naissance, vie et mort en moins d’une minute !

En pleine eau, à vingt mètres de profondeur, au-dessus d’un fond de sable, j’observe le comportement assez particulier d’un poisson-perroquet mâle, bleu, d’environ 80 cm ( Cetoscarus bicolor ). La nageoire dorsale dressée et entouré d’une dizaine de femelles marrons, plus petites, il semble très excité vis à vis d’autres mâles. Soudain, l’ensemble de ces poissons vient se rencontrer à un mètre de moi pour se séparer immédiatement après, laissant la place à une sorte de nuage beige de gamètes mâles et femelles : le contact dure moins d’une seconde ! A l’instant même, un banc de plusieurs centaines de fusiliers striés ( Caesio striata ), de 15 cm, avec quatre lignes horizontales sombres et le ventre plutôt rosé, viennent dévorer les œufs dans une orgie incroyable, sans se soucier de ma présence, suivi de quelques poissons-chirurgiens noirs à barre blanche ( Acanthurus gahhm ) de 40 cm qui viennent participer à ce festin improvisé. Puis, un Grand barracuda ( Sphraena barracuda ), d’1,50 m, venu du bleu, fonce dans la boule de poissons et la disperse ; je n’arrive pas à voir s’il réussit à attraper une proie. Sitôt le prédateur parti, les fusiliers se remettent à l’œuvre pour ne plus rien laisser quelques secondes plus tard…

Quelle intensité dans cette scène ! Un pur moment d’émotion, comme on en rêve en plongée : rare mais beau.

Nembrotha à grandes cornes ou Megalocera ( Polycéridés ) est une espèce commune de nudibranches, endémique de la mer Rouge. Les individus atteignent 7,5 cm à l’âge adulte et peuvent se déplacer par des torsions latérales de leur corps, s’ils sont dérangés.
La plupart des nudibranches ( « branchies nues « ) ont leurs branchies ou plumes branchiales bien visibles à l’extérieur du corps. Ce sont des prédateurs, dépourvus de coquille, qui se déplacent lentement mais toutefois plus rapides que les autres limaces de mer . Certains sont capables de nager pour échapper à un éventuel danger ou augmenter leurs chances de trouver un partenaire sexuel.


Remerciements

• Les dauphins eux-mêmes, grâce à leur complaisance, sans qui cette croisière n’aurait eu aucun sens.
• Les accompagnateurs, sans exception, qui par leur bonne humeur constante ont su créer une ambiance particulièrement conviviale.
• L’équipage égyptien discret et attentionné.
• Aryan, notre sympathique instructeur parfaitement francophone et Arnaud, « Captain nudibranch «, toujours disponible.
• Fred Chotard, cétologue confirmé et apnéiste averti qui, par sa passion et sa connaissance de ces animaux, fut la garantie d’un séjour réussi.